La vente directe d’électricité renouvelable est enfin sur les rails en France. Kerstin Pienisch, chargée du développement international de l’agrégateur allemand Next Kraftwerke basé à Cologne, et Laurent Froissart, responsable Grands Comptes de la filiale française Centrales Next implantée à Vonnas près de Lyon, apportent leurs regards croisés sur ces récentes évolutions et les perspectives qu’elles ouvrent.
Christian Sperling : Le 13 décembre 2016, les choses se sont enfin précisées pour Centrales Next : le gouvernement français a en effet franchi un cap décisif avec la publication officielle des arrêtés relatifs à la vente directe de l’électricité renouvelable. En quoi ce cap est-il important ?
Laurent Froissart : Les trois arrêtés parus le 13 décembre précisent désormais les conditions du complément de rémunération pour l’éolien terrestre, les centrales hydroélectriques d’une puissance inférieure à 1 GW et les centrales de cogénération à partir de la géothermie. Ils font suite à la publication le 3 novembre des conditions applicables aux centrales de cogénération utilisant le gaz naturel. Ces arrêtés à présent en vigueur découlent des différents décrets destinés à aménager les conditions sur le plan administratif et parus en mai. Ils fixent notamment les modalités du passage au régime de complément de rémunération des installations de production d’énergies renouvelables.
Kerstin Pienisch : Le plus important pour nous dans la publication de ces décrets en mai a été que le gouvernement français s’engage en faveur du marché de capacité et que les garanties d’origine ne soient pas intégrés au dispositif de complément de rémunération.
Christian Sperling : Pourquoi est-ce si important pour notre entreprise ?
Kerstin Pienisch : Nous souhaitons toujours garantir le tarif de référence à nos clients, y compris dans le cadre du complément de rémunération car il est égal au montant du tarif de l’obligation d’achat. Pour le calcul de la prime à l’énergie, nous déduisons du tarif de référence les revenus tirés de la vente de la production électrique sur la bourse de l’électricité et les recettes correspondant aux prix de référence du marché de capacité. Si les garanties d’origine avaient continué d’être incluses dans cette formule de calcul, nous aurions été obligés de les commercialiser en plus et de garantir les revenus issus des prix de référence des marchés, ce qui n’aurait fait qu’accentuer notre risque commercial. L’intégration des garanties d’origine dans ce nouveau dispositif de soutien nous a d’abord étonnés. En fait, nous percevons des garanties d’origine uniquement pour les unités de production qui ne sont plus éligibles à aucun mécanisme de soutien, comme les anciennes centrales hydroélectriques autrichiennes. La France a aussi à présent décidé d’autoriser le négoce des garanties d’origine, mais uniquement pour les centrales pas ou plus éligibles aux différents régimes de soutien.
Laurent Froissart : Il est important de noter que les arrêtés du 13 décembre se limitent aux nouveaux parcs éoliens. Pour l’instant, aucun dispositif ne s’applique aux centrales éoliennes mises en service avant le 01 janvier 2016. En revanche, en cas de renouvellement intégral, elles sont considérées comme de nouvelles installations et peuvent être traitées comme telles. En 2017, les centrales photovoltaïques feront l’objet de trois appels d’offres : en février, juin et novembre. Nous ne savons toujours pas cependant quel régime s’appliquera aux unités de production valorisant les bioénergies. Aucun arrêté n’a encore été prévu ni pris pour cette filière.
Christian Sperling : Que signifient concrètement ces arrêtés pour notre filiale française Centrales Next ?
Kerstin Pienisch : Nous attendions l’officialisation des conditions définitives de la prime de gestion et du tarif de référence depuis un moment déjà. Désormais, ces arrêtés en fixent clairement le montant. Grâce à ces chiffres concrets, nous sommes à présent en mesure d’établir des propositions concrètes. Pour l’instant, ceci concerne surtout les opérateurs de centrales éoliennes ayant déposé une demande de complément de rémunération ou de tarif d’achat fixe entre le 1er janvier et le 31 décembre 2016. Actuellement, les conditions ne sont claires que pour ces centrales. En revanche, pour celles mises en service à compter du 1er janvier 2017 et les parcs éoliens relevant du tarif d’achat et mis en exploitation avant le 1er janvier 2016, les critères de passage au dispositif de complément de rémunération ne sont toujours pas connus.
Laurent Froissart : Il en va différemment pour l’hydraulique et la géothermie puisque les arrêtés fixent les conditions applicables aux nouvelles installations et à celles déjà en service de ces deux filières. Les centrales géothermiques en exploitation ne sont toutefois pas très nombreuses. De leur côté, les centrales hydroélectriques d’une puissance inférieure à 500 kW peuvent choisir entre le tarif d’achat fixe et le complément de rémunération. Il est ici possible de toucher des revenus supplémentaires grâce à la prime de gestion et à la participation à la régulation du réseau, à l’image de ce qui se pratique en Allemagne.
Kerstin Pienisch : Si les opérateurs de centrales hydroélectriques d’une puissance inférieure à 500 kW peuvent opter pour le tarif d’achat ou le complément de rémunération, cela nous ouvre un marché au potentiel colossal.
Christian Sperling : Quels sont les points communs entre le mécanisme français de vente directe et le dispositif allemand ? Existe-t-il en France un équivalent au modèle de prime de marché allemand ?
Laurent Froissart : Il est comparable. Le régime français du complément de rémunération est cependant complété par le marché de capacité que l’on ne retrouve pas en Allemagne.
Kerstin Pienisch : Pour moi, il y a encore un point commun important. L’Allemagne a instauré des prix de marché de référence propres à chaque technologie pour le calcul de la prime de marché, un élément également présent en France. Ces prix de marché de référence sont désignés ici par l’acronyme M0 (prononcé m zéro). Des formules de calcul propres à chaque source d'énergie permettent de calculer ces prix M0 et ainsi de garantir les risques structurels.
Christian Sperling : Et quelles sont les différences par rapport au mécanisme de vente directe en vigueur en Allemagne ?
Laurent Froissart : La principale différence réside dans la rémunération des périodes où les prix de l’électricité sont négatifs. À la différence de l’Allemagne, la prime à l’énergie n’est pas versée lorsque les prix à la bourse de l’électricité sont négatifs. En échange, les opérateurs de centrales de production peuvent percevoir une prime dite de « non-injection ». En clair, ils sont rémunérés pour ne pas produire d’électricité lorsque les prix sont négatifs.
Kerstin Pienisch : Car les centrales qui arrêtent leur production en cas de prix négatifs rendent service au marché et perçoivent donc cette prime. Pour cela, il faut cependant enregistrer un minimum de périodes de prix négatifs par an. Nous pouvons néanmoins proposer une offre de service particulière à nos clients français : le versement de la prime à l’énergie en échange de l’arrêt de leur centrale via la Next Box en cas de prix négatifs. Autre différence fondamentale : la possibilité de basculer du régime de tarif d’achat à la vente directe et de revenir par la suite sur ce choix. En Allemagne, cette bascule dans les deux sens est possible tous les mois ; en France, en revanche, d’autres conditions prévalent.
Laurent Froissart : Les trois premières années sont un peu considérées comme une phase de test pendant laquelle les tarifs d’achat sont gelés. Si le client décide d’abandonner le complément de rémunération pour revenir à l’ancien système, il peut continuer de percevoir le tarif d’achat. Ce que nous ne connaissons pas, en revanche, c’est la fréquence à laquelle cette bascule est autorisée.
Christian Sperling : En Allemagne, la loi impose aux opérateurs intéressés par la vente directe d’équiper leurs unités de production d’énergies renouvelables d’un dispositif de commande à distance. Et c’est d’ailleurs dans cette optique que la Next Box a été conçue. Existe-t-il en France une obligation similaire pour les opérateurs tentés par la vente directe ?
Kerstin Pienisch : La commande à distance des centrales de production n’est pas obligatoire en France, mais, pour nous et le client, c’est évidemment la meilleure solution. Car c’est uniquement de cette manière que nous pouvons par exemple déconnecter la centrale en cas de prix négatifs, comme nous l’évoquions plus haut, et continuer de garantir le versement de la prime à l’énergie au client, ou commercialiser sa production électrique sur le marché d’ajustement. Autre atout important : la récupération des données opérationnelles des centrales afin de pouvoir accroître encore le degré de précision de nos prévisions et rendre nos frais de commission nettement plus attractifs.
Laurent Froissart : Aujourd’hui, les nouvelles unités de production sont normalement équipées d’un système de commande à distance. Certains clients, cependant, ne veulent pas qu’on intervienne sur leurs installations à distance. Nous devons néanmoins ménager cette possibilité pour nos clients. Car la demande est bien là.
Christian Sperling : Quelle est l'importance du marché de capacité français en voie d’émergence pour Centrales Next ?
Kerstin Pienisch : Centrales Next est officiellement enregistré en tant que responsable de périmètre de certification sur le marché de capacité en France. C’est important pour garantir à nos clients les prix de référence du marché de capacité afin que la rémunération qu’ils perçoivent dans le cadre du mécanisme de complément de rémunération soit égale au tarif d’achat fixe.
Laurent Froissart : En France, chaque centrale est tenue de se faire certifier. Les certificats émis quasi-automatiquement sont ensuite négociés par Centrales Next.
Kerstin Pienisch : Le marché de capacité étant surtout né de la volonté de garantir la sécurité d’approvisionnement, c’est aussi la raison pour laquelle il est devenu partie intégrante du dispositif de vente directe. Nous devons donc y prendre part directement.
Christian Sperling : À terme, les échanges transfrontaliers d’électricité renouvelable entre la France et l'Allemagne s’en trouveront-ils facilités ?
Kerstin Pienisch : Dans l’absolu, il est clair aujourd’hui en France que le développement des énergies renouvelables passe par le marché. En théorie, tous les produits qui y sont proposés peuvent être négociés, y compris entre pays voisins. Il subsiste néanmoins ces fameux problèmes d'interconnexion qui ne connaîtront pas d’améliorations notables dans l’immédiat tant que les capacités de transport transfrontalières n’auront pas été renforcées.
Laurent Froissart : Il existe déjà un « marché aux enchères européen pour la régulation du réseau » qui permet de compenser les volumes déficitaires, notamment grâce à des échanges transfrontaliers.
Christian Sperling : Quelle est l’importance de la prime de gestion dans le système français de vente directe ?
Laurent Froissart : Le montant de la prime de gestion a fait l'objet d’âpres discussions au niveau ministériel et au sein de la Commission de régulation de l’énergie. Son montant au mégawattheure a été fixé à 2,80 EUR pour l’éolien terrestre, 2 EUR pour l’hydraulique et 2 EUR également pour la géothermie et la cogénération.
Kerstin Pienisch : Grâce à cette bonification supplémentaire, que l’on retrouve aussi dans le modèle allemand, le montant de cette prime s’avère très intéressant pour les opérateurs disposés à passer à la vente directe. La prime de gestion additionnelle, également prévue dans le cadre du mécanisme de vente directe français, permet de dégager davantage de recettes. Auxquelles il faut ajouter celles tirées des mesures de flexibilité, comme la mise à disposition de la réserve.
Christian Sperling : Quelles sont pour Centrales Next les principales opportunités et les éventuels défis posés par le nouveau dispositif de complément de rémunération ?
Laurent Froissart : Pour nous, ces arrêtés constituent une réelle avancée parce qu’ils consacrent l’ouverture du marché alors que nous bâtissons aujourd’hui notre portefeuille français. Nous sommes déjà à présent en mesure de signer des contrats de vente directe et les opérateurs de centrales de production peuvent venir nous consulter pour étudier ensemble les modalités du passage du tarif d’achat au complément de rémunération. Au final, la procédure d’introduction de la vente directe n’est néanmoins toujours pas terminée. Il manque encore de nombreuses dispositions concernant les centrales actuellement en service qui devraient être adoptée cette année, et nous espérons qu’elles le seront avant les présidentielles.
Kerstin Pienisch : Je suis curieuse de voir comment évoluera le marché infrajournalier français. Nos traders commencent tout juste à conclure des contrats, mais sa liquidité demeure encore faible. Elle devrait néanmoins augmenter grâce à la vente directe, ce qui constitue, à mes yeux, un excellent signe pour obtenir des écarts de prix intéressants et donc des produits attractifs pour une flexibilité proactive. Les opérateurs français sont habitués à des durées contractuelles longues de 15 à 20 ans. Nous serons donc nous aussi obligés de proposer de tels contrats. Une gageure malgré le dynamisme soutenu du marché français.
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Kerstin Pienisch
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